HISTOIRE DU LUPUS
Le terme de lupus signifie « loup » en latin (en allemand « wolf »). En consultant les écrits médicaux des anciens, on notait que ce terme a été utilisé pour caractériser diverses affections de la peau dont les marques font penser à des morsures de loup. Il apparaît pour la première fois dans la littérature médicale en 916 après J.C. à propos de la maladie de l’Evêque de Liège, Eraclius, le lupus, dont il fut miraculeusement guéri à l’occasion d’un pèlerinage sur la tombe de St Martin à Tours. L’observation est rapportée par Herbert de Tours : « Lui Eraclius, qu’il appelle Hildricus, souffrait d’une maladie ulcéreuse, le lupus, qui se manifestait par une ligne rouge sur le front ». Ce type d’affection de la peau n’est certainement pas passée inaperçue aux yeux des médecins de l’Antiquité. Les fresques de L’Egypte ancienne donnent un reflet assez exact de l’état cutané des habitants de la vallée du Nil. L’étude des papyrus médicaux, datant de 1000-1700 av. J.C., a permis d’identifier les descriptions sémiologiques de nombreuses maladies de la peau. Hippocrate qui vivait sur l’île de Cos entre 460-375 av. J.C., décrit des lésions ulcéreuses de la peau qu’il appelle Herpes Esthiomenos (Herpes qui s’étend sur la peau, Esthiomenos qui ronge). Claudius Galien, médecin grec exerçant à Rome entre 131-201 ap. J.C., se servit du nom Herpes dans un sens moins indéterminé pour désigner les ulcérations superficielles de la peau. Les médecins perses comme Raazes (900 ap. J.C.) et Avicenne (1000 ap. J.C.) décrivent l’affection sous le nom de « formica corrosiva » qui sera retenu par Paul Egine, un médecin grec de l’île d’Egine, et par Galien. Dans les écrits de la célèbre Ecole de Médecine de Salerne du Moyen Age, on trouve les écrits de Rogerius Frugarti qui décrit le lupus caractérisé par des boursouflures des extrémités. Rolandus consacre l’appellation de « noli me tangere » (ne me touche pas) pour les maladies affectant le visage. Bernard de Gordon, médecin de l’Ecole de Montpellier (1305) mentionne aussi la forme ulcéreuse de l’herpes qu’il dénomme lupus. En 1500, Paracelse introduit le terme de consolida lupi pour décrire une maladie différente de l’esthiomenos, de la fistula et du cancer. Il utilise ainsi le terme de lupus vorax. Girolamo Mercurialis donne une description du lupus dans son traité « de Morbei-Cutanei » de 1572, le premier ouvrage de dermatologie publié en Europe.
En 1750, le nom de lupus apparaît pour la première fois dans un ouvrage médical américain « A method of Physics » de Philips Barrough. L’utilisation du mot lupus sera réservée aux éruptions rouges de la face par Hans van Gersdorf de Strasbourg en 1577 et repris par Jean Dolaeus en 1684. En 1790, le britannique Robert Willan établit une première classification des maladies de la peau dans laquelle on trouve la description du lupus qu’il sépare clairement du « noli me tangere » et de l’herpes. Willan rédige le premier atlas de dermatologie « Manual on Skin Diseases » qui comporte de nombreuses illustrations en couleur entièrement dessinées à la main, ce qui retardera beaucoup sa parution. En 1808, une nouvelle édition est publiée dans laquelle Willan réserve la dénomination de lupus à une éruption nodulaire de la face qui se complique d’ulcérations. Deux types de lupus sont décrits, le lupus tuberculeux et le lupus vulgaris. Après la mort prématurée de Willan, son élève Thomas Bateman continue son œuvre. Un nouvel atlas des maladies de la peau va voir le jour en 1810 qui va influencer l’histoire de la dermatologie. En France, l’hôpital St Louis de Paris, développe un service de dermatologie en 1801 dont on confie la direction à Jean-Louis Alibert. Celui-ci publie, en 1832, un ouvrage intitulé « Descriptions des Maladies de la Peau observées à l’hôpital St Louis » avec 50 gravures en couleur. Il y fait la description « des tartres » au sein desquelles il isole la dartre rougeante correspondant à l’affection décrite par ses prédécesseurs sous le nom de lupus. Alibert précise que l’esthiomène correspond au lupus vorax de Paracelse et au lupus de Willan qui sont associés à la tuberculose. En 1815, Alibert laisse le service de l’hôpital St Louis à Laurent Théodore Biett, un médecin d’origine suisse, ayant étudié la dermatologie chez Bateman à Londres et qui va donc appliquer la classification des dermatoses selon ses maîtres anglais. Ses collaborateurs, Alphée Cazenave et Henri-Edouard Schedel publient en 1828 la première édition des « Abrégés pratiques des Maladies de la Peau » dans laquelle les auteurs séparent différentes formes du lupus : le lupus qui détruit en surface, qui détruit en profondeur et le lupus avec hypertrophie. Ils démontrent que le « noli me tangere » est d’origine cancéreuse et sépare donc clairement cette affection du lupus. Dans la seconde édition de 1833, le chapitre consacré au lupus est complété par une forme particulière qui est décrite sous le nom « d’Erythème centrifuge ». En 1851, Cazenave étend la description de l’érythème centrifuge en notant les lésions de la peau avec atrophie, télangiectasies, érythème fixe et il modifie l’appellation en « Lupus Erythémateux ».
Les travaux sur le lupus vont alors se poursuivre à Vienne, haut-lieu de la médecine austro-hongroise. Ferdinand von Hebra est chargé en 1841 de la clinique de Dermatologie de cette ville. Il décrit en 1846 une affection qui frappe le visage qu’il appelle « seborrhea congestiva ». Il décrit l’aspect tout particulier de l’éruption malaire en « aile de papillon ». En 1866, Von Hebra va préciser que l’affection est identique à celle que Cazenave a décrit sous le nom de Lupus érythémateux. Il se rallie donc à la thèse de Cazenave et accepte définitivement ce terme qui sera universellement retenu. La première illustration du lupus érythémateux apparaît en 1856 dans l’Atlas des Maladies de la Peau de Von Hebra qui comporte de nombreuses illustrations peintes à la main par son collaborateur, le suisse Anton Elfinger. En 1866, un jeune médecin hongrois, Moriz Kohn, rejoint le service de Von Hebra. Brillant médecin, polyglotte, talentueux orateur, Kohn va parfaire l’enseignement de son maître Von Hebra. Il publie, en 1869, un premier article sur le lupus érythémateux. En 1871, Moriz Kohn obtient l’autorisation de changer son nom de famille en KAPOSI et c’est sous cette identité qu’il continuera de publier de nombreux travaux. En 1872, dans un traité détaillé, il décrit l’existence de deux types de lupus : le lupus discoïde, exclusivement cutané, et une forme disséminée associant des complications viscérales systémiques dont des nodules sous-cutanés, des arthralgies, une lymphadénopathie, de la fièvre, une perte de poids, une anémie. Il appelle cette forme « lupus érythémateux disséminé et agrégé ». Une confusion va naître à propos de l’adjectif disséminé qui est en rapport avec l’évolution cutanée et non au caractère multiviscéral (systémique) de l’affection. En 1902, Sequira et Baleau à Londres vont publier une revue de 71 cas de lupus dont 60 discoïde et 11 disséminé. Ils relèvent l’existence dans ce dernier groupe d’une fréquence de l’acroasphyxie (qui sera plus tard mieux connue sous le nom de phénomène de Raynaud), d’une atteinte rénale ainsi que de pleurésie(péricardite. Jadasshon, dermatologue allemande exerçant à Berne en Suisse, contribue en 1904 à la substitution du terme de « lupus érythémateux disséminé » par celui de « lupus érythémateux systémique » ou mieux « maladie lupique ». Sir Williams Osler va confirmer le concept de lupus systémique grâce à de nombreuses publications entre 1895 et 1904. En 1936, CK Friedberg décrit l’existence de la maladie lupique sans manifestations cutanées. Le lupus systémique semble avoir existé dès la plus haute antiquité. En effet, un groupe de chercheurs sous la direction de Marvin Alison et Alejandro Pezza du Musée des Incas du Pérou, ont pu examiner attentivement une momie de fillette de 14 ans, datant de 890 av. J.C., dont l’examen révèle une alopécie, une pleurésie et une péricardite, une glomérulonéphrite compatibles avec un lupus systémique.
On trouve également des reproductions de la maladie lupique dans les peintures de grands maîtres. Ainsi, Rembrandt en 1634 a peint le portrait de Maria Bockenolle, l’épouse du Pasteur Elison, dans lequel on peut remarquer l’éruption rouge dans le visage et la déformation articulaire de la main. Au Musée du Louvre, on peut admirer le tableau du peintre français Siméon Chardin de 1740 et dont une copie de 1746 se trouve au Musée de l’Ermitage à St Petersbourg, le « Benedicité » sur lequel on peut observer l’érythème du visage de la petite fille.
Le XXe siècle ouvre l’ère de la biologie du lupus. En 1910, Hank signale la positivité de la réaction de fixation du complément de Wasserman avec le sérum de malades lupiques. En 1846, Hargraves découvre, dans la moelle sternale des lupiques, la présence de cellules particulières constituées de polynucléaires neutrophiles ayant phagocyté le noyau d’une autre cellule qui furent dénommées cellules LE. L’année suivante, Haserick montra que le sérum des malades lupiques était capable de provoquer la formation de cellules LE avec des cellules de la moelle de sujets normaux. En 1954, Peter Miescher, un immunologiste suisse, réussit à absorber le facteur sérique LE avec des noyaux de cellules de thymus démontrant ainsi que le facteur était un anticorps anti-nucléaire. En 1957, il a pu être montré que ces anticorps réagissaient avec les nucléoprotéines, c’est-à-dire la sous-unité constitutionnelle de la chromatine. La même année, Maxime Seligman à Paris, montra que le sérum des malades lupiques provoque un précipité avec l’ADN. Ceci fut confirmé par l’Allemand Deicher dans le laboratoire de Henri Kunkel et par l’Italien Ceppelini. Ainsi les anti-ADN sont devenus les marqueurs sérologiques spécifiques du lupus. Une découverte importante va révolutionner la pratique de l’immunologie. C’est la mise au point par Coons en 1953 de la technique d’immunofluorescence. Friou l’applique en 1957 à la recherche des anticorps anti-nucléaires mais elle ne se généralisera qu’à partir de 1968 lorsque les premiers microscopes équipés d’un éclairage UV se répandront dans les laboratoires. A partir de 1975 la recherche des anticorps anti-nucléaires se fera sur des cellules Hep-2, substrat encore utilisé de nos jours.
En 1961, Anderson à Glasgow, va montrer que les anticorps présents dans le sérum des malades lupiques précipitaient des extraits solubles des noyaux de thymus. C’est le départ des travaux sur les anticorps anti-ENA pour « Extractable Nuclear Antigens », c’est-à-dire d’antigènes solubles du noyau. En 1966, Tan identifie chez une patiente lupique, Mrs Smith, un premier anti-ENA, qui fut appelé anti-Sm. D’autres spécificités seront identifiées les années suivantes. La sophistication et la standardisation des techniques de détection des anticorps anti-nucléaires vont amener d’authentiques progrès diagnostiques de la maladie lupique.
Le lupus dermatologique a fait l’objet de tentatives de traitement dès l’antiquité. Au début du XVe siècle, le médecin allemand Johan Tollat von Vorchenberg écrit « pour le lupus caprifolin », c’est-à-dire du chèvrefeuille. La médecine à l’époque faisait appel à une pharmacopée très riche empruntée aux règnes végétal et minéral. Jonathan Hutchinson, 1880, propose l’huile de foie de morue, l’arsenic, le chlorure de zinc et le nitrate de mercure. Anderson ajoute l’application d’iode. Les sels d’or sont introduits en 1913 pour le traitement du lupus discoïde. Pour celui du lupus systémique, la quinidine est introduite par JF Payne dès 1894, l’aspirine est utilisée en 1899 par Radcliffe-Crocker et la quinine par Mac Lead en 1908. En 1956, c’est l’introduction du plaquenil encore largement utilisé de nos jours. Edward Kendall en 1935 isole la cortisone qui sera utilisée pour le traitement du lupus par Hensch. A partir de 1952, on utilise les immunomodulateurs comme la cyclophosphamide, le mycophénolate, l’azathioprine, puis les monoclonaux comme le rituximab. D’autres thérapies sont en cours de développement.
Les premières descriptions du lupus portent sur les manifestations dermatologiques. Diverses variétés de lupus cutané ont été décrites par les dermatologues. A la fin du XIXe siècle on s’aperçoit que certains lupus pouvaient se compliquer de manifestations viscérales diffuses et le derme de lupus érythémateux systémique vient se substituer à celui de lupus érythémateux disséminé. Grâce au développement de nos connaissances en immunologie, on démontrera à la fin du XXe siècle que la maladie lupique est une maladie auto-immune. Des tests immunologiques ont été développés qui permettent un diagnostic précis du lupus systémique. D’autre part, les connaissances acquises de l’étiologie de la maladie vont permettre la mise en œuvre de thérapies ciblées de plus en plus efficaces.